Le 22 février 2022, le Conseil des sanctions du Groupe de la Banque mondiale (« GBM ») a rendu sa décision n° 136 en imposant une radiation de deux ans à un directeur général pour corruption et pratiques frauduleuses. Cette décision est importante à trois égards : 1) elle survient plus de onze ans après la conduite fautive; 2) le Conseil des sanctions a bloqué la tentative du vice-président chargé des questions d’intégrité (« INT ») d’utiliser des éléments de preuve incriminants sans les divulguer à l’intimé; et 3) le Conseil des sanctions n’a pas été influencé par un verdict de non-culpabilité au terme de poursuites pénales engagées dans le pays concerné et fondées sur les mêmes allégations.

Cette affaire repose sur un appel d’offres effectué en 2009 relativement à un projet du GBM en Roumanie qui visait la préparation à une pandémie de grippe et le contrôle de sa propagation. L’intimé, en la personne du directeur général, était accusé d’avoir offert et payé une partie du contrat en question à un consultant du GBM qui participait à la passation du marché et d’avoir omis de déclarer des commissions versées à un agent relativement au contrat.

Une fausse déclaration aurait été faite en mai 2009 dans les documents d’appel d’offres et, selon les allégations, le pot-de-vin aurait été versé en mai 2010. Les registres indiquent que l’INT a interrogé le consultant du GBM qui avait participé à la passation de marché en avril 2011. Le Bureau des suspensions et des radiations du GBM a publié un avis de suspension le 5 mars 2021. La sanction a fait l’objet d’une importante atténuation en raison du long laps de temps qui s’est écoulé.

La décision permet de rappeler qu’à l’instar du droit pénal canadien, le régime des sanctions du GBM ne prévoit pas de délai de prescription. Les entreprises qui prennent connaissance d’une conduite potentiellement répréhensible, quelle que soit la date à laquelle elle remonte, ne doivent pas fermer les yeux sur cette dernière en pensant qu’elle appartient au passé.

Le Conseil des sanctions a également refusé la demande de l’INT de s’appuyer sur [traduction] « une pièce strictement confidentielle » qui contenait des preuves incriminantes et n’avait pas été divulguée à l’intimé au motif qu’elle constituait de [traduction] « l’information personnelle confidentielle » du GBM qui ne pouvait être dévoilée qu’avec le consentement de la personne visée. Or, on ignore si cette personne était le consultant du GBM qui avait participé au pot-de-vin présumé en question. Le Conseil des sanctions a rejeté cet argument, invoquant le droit de l’INT de caviarder, à son entière discrétion, toute information confidentielle. Selon les précédents cités par le Conseil des sanctions, il s’agissait au moins de la troisième fois où l’INT tentait sans succès de ne pas divulguer des éléments de preuve au motif qu’ils contiendraient des renseignements confidentiels d’un employé[1].

Le Conseil des sanctions a accordé peu d’importance au verdict de non-culpabilité rendu au terme de poursuites pénales engagées dans le pays concerné et fondées sur les mêmes allégations, estimant que les normes juridiques et les jugements des pays en cause n’avaient aucun effet contraignant sur lui ou sur le GBM. Cette façon de voir les choses est peut-être bien fondée et comporte peut-être certains avantages, car tous les systèmes judiciaires ne se valent pas et certains tribunaux locaux peuvent être corrompus. Il convient toutefois de noter que les tribunaux canadiens sont soumis à des normes plus strictes que le GBM pour ce qui touche le fardeau de la preuve.

Par exemple, dans une procédure pénale canadienne, la Couronne doit prouver que le défendeur a commis l’infraction hors de tout doute raisonnable. Il s’agit d’un niveau exigence plus élevé pour un verdict de culpabilité que le fardeau auquel est soumis le Conseil des sanctions, soit celui de prouver qu’il est « plus probable qu’improbable » que le défendeur ait commis l’infraction, donc qu’il y ait une [traduction] « prépondérance de la preuve que le défendeur s’est livré à des pratiques passibles de sanctions ». Il s’agit d’un fardeau similaire à celui exigé au Canada dans les affaires au civil. Compte tenu de ce fardeau moins exigeant, toute entreprise canadienne qui aurait été jugée non coupable dans le cadre d’une procédure pénale au pays pourrait tout de même se voir sanctionner en vertu du régime du GBM vu la preuve plus faible qui est exigée.

Cette affaire vient donc rappeler brutalement aux sociétés canadiennes que le GBM et le Conseil des sanctions suivent leurs propres règles et ne tiennent pas compte des poursuites connexes engagées dans le pays concerné. Les entités canadiennes doivent, par conséquent, rester vigilantes après avoir découvert une infraction possible aux règles du GBM, car ni le passage du temps ni une issue favorable devant les tribunaux de leur pays ne les protègent d’une éventuelle radiation.

[1] Voir la décision n° 71 du Conseil des sanctions (2014), par. 48; la décision n° 113 du Conseil des sanctions (2018), par. 21-23 (en anglais).