Avis du ministère de la Justice américain sur une violation en vertu de la FCPA – est-ce que cela se produirait au Canada?

En janvier, le ministère de la Justice américain (Ministère) a rendu un avis à une société américaine sur la question de savoir si le fait de payer un tiers pour la libération de ses employés violerait la loi intitulée Foreign Corrupt Practices Act (FCPA)[1]. Le Ministère a conclu qu’il ne déposerait pas d’accusation contre la société si elle faisait un paiement pour prévenir un danger imminent pour la vie.

Le Ministère rendit son avis après que le navire de charge de la société, son capitaine et son équipage eurent été détenus par les forces navales d’un pays étranger pour s’être prétendument trouvés illégalement dans ses eaux . La santé du capitaine suscitait de graves préoccupations. Un tiers, prétendant agir au nom du pays étranger, a exigé 175 000 $ US pour libérer le capitaine, l’équipage et le navire. Craignant de violer la FCPA, la société a consulté les autorités de réglementation américaines et a demandé au Ministère si celui-ci prendrait des mesures d’application de la loi si elle effectuait le paiement.

Le Ministère a indiqué que le paiement proposé ne déclencherait pas une telle mesure en vertu des dispositions anticorruption de la FCPA parce que la société ne ferait pas le paiement en faisant preuve de « corruption » ou pour « obtenir ou conserver » des clients.

Canada : comment cet avis du Ministère est-il pertinent dans le cadre de la LCAPE?

Il est rare que de tels avis soient rendus aux États-Unis; au Canada, ils sont inédits – le ministère de la Justice canadien et Affaires mondiales Canada sont extrêmement hésitants à commenter l’application de la Loi sur la corruption d’agents publics étrangers[2] (LCAPE). L’absence de jurisprudence interprétant la LCAPE pose également problème.

Néanmoins, il existe suffisamment de similitudes entre l’application de la FCPA par le Ministère dans cette affaire et l’objet de la LCAPE pour que l’approche du Ministère puisse aider à interpréter la législation canadienne :

  1. La LCAPE stipule que : « Commet une infraction quiconque, directement ou indirectement, dans le but d’obtenir ou de conserver un avantage dans le cours de ses affaires, donne, offre ou convient de donner ou d’offrir à un [agent public étranger] un [avantage][3]». La LCAPE a été adoptée pour mettre en œuvre les obligations internationales du Canada en vertu de la Convention sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers de l’OCDE[4]. Les tribunaux ont fait référence à la « politique anticorruption » de cette Convention lorsqu’ils ont interprété la LCAPE[5]. En conséquence, lorsqu’on examine un comportement comme celui qui est présenté en l’espèce, il demeure important de se demander s’il existe une intention « de corruption », et il est fort probable que l’on en tienne compte dans toute décision des procureurs canadiens.
  2. La LCAPE prévoit une infraction d’intention spécifique[6]: le contrevenant doit avoir commis l’acte criminel dans le but d’obtenir un avantage dans le cours de ses « affaires »[7]. Compte tenu de l’objectif sous-jacent de la LCAPE, ainsi que de la structure de la disposition applicable, les faits qui démontrent que l’avantage n’a pas été conféré pour des considérations d’affaires constituent un facteur important de toute analyse d’actes posés.
  3. L’avis du Ministère fait également référence à la contrainte. Au Canada, une personne peut se prévaloir du moyen de défense de common law fondé sur la contrainte si elle commet un acte criminel « [traduction] sous l’impulsion d’une menace de mort ou de lésions corporelles[8]». Ce moyen de défense englobe toute menace grave contre un tiers[9]. Dans le cas qui nous intéresse, la santé du capitaine était gravement menacée et la société était d’avis qu’il subirait un préjudice grave s’il n’était pas libéré rapidement. Le Ministère a conclu que la société avait subi de la contrainte ou de l’extorsion, ce qui a permis d’écarter l’intention de corruption requise. Les autorités ou les tribunaux canadiens pourraient adopter une autre approche, mais il est raisonnable de penser qu’ils reconnaîtraient que le « crime » a été commis sous la contrainte.

La divulgation avant l’action?

Bien que la LCAPE ne prévoie pas de dispositions expresses sur la divulgation, il est tout de même remarquable que le Ministère ait souligné le fait que la société avait communiqué avec les autorités américaines avant d’effectuer un paiement. Cette divulgation semble avoir influencé l’opinion du Ministère selon laquelle la société n’avait pas l’intention de poser des gestes de corruption.

Bien que les faits associés à cette affaire demeurent uniques, il faut se demander comment les autorités canadiennes traiteraient une situation semblable compte tenu de ce possible précédent.

 

[1] Pour une analyse plus approfondie de l’Opinion Procedure Release, veuillez consulter l’article de blogue publié par nos collègues aux États-Unis : https://www.nortonrosefulbright.com/en/knowledge/publications/cf81d46e/rare-us-fcpa-advisory-opinion-sheds-light-on-duress-payments.

[2] LCAPE. https://laws-lois.justice.gc.ca/fra/Lois/C-45.2/page-1.html.

[3] LCAPE, art 3 (1).

[4] Se reporter au sommaire du projet de loi S-21, Loi concernant la corruption d’agents publics étrangers et la mise en œuvre de la Convention sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales, et modifiant d’autres lois en conséquence, qui a reçu la sanction royale pendant la 36e législature.

[5] R v Karigar, 2017 ONCA 576 aux para 40-41.

[6] R v Barra, 2021 ONCA 568 au para 74.

[7] Le terme « affaires » est défini à l’article 2 de la LCAPE.

[8] R v Willis, 2016 MBCA 113 au para 22; R c Ruzic, 2001 CSC 24 au para 47. [Ruzic].

[9] Ruzic, 24 au para 65.