Les dirigeants et administrateurs canadiens devraient bien prendre en note les changements de priorités en matière d’application des dispositions pénales aux États-Unis. Dans de récents discours lors de la tenue de la 37e édition du National Institute on White Collar Crime de l’ABA, le procureur général des États-Unis, Merrick Garland, et le procureur général adjoint, Kenneth Polite Jr., ont confirmé que dans le cadre des poursuites relatives aux crimes d’entreprise, la « priorité absolue » du Department of Justice des États-Unis (DOJ) concerne les particuliers responsables de l’inconduite[1]. Le raisonnement? Les sociétés ne peuvent agir que par l’entremise de particuliers, et la possibilité de responsabilité personnelle – dont une peine d’emprisonnement – est considérée comme étant le meilleur moyen de dissuasion contre les crimes d’entreprise.

Ces discours font suite à une allocution prononcée antérieurement par la procureure générale adjointe Lisa Monaco, qui a annoncé des mesures législatives visant à assurer l’imputabilité individuelle à l’égard des crimes d’entreprise. Ces mesures comprennent le rétablissement de l’exigence pour les sociétés, afin d’être admissibles à des crédits de coopération, d’identifier tous les particuliers impliqués dans l’inconduite ou responsables de celle-ci, peu importe leur poste, leur statut ou leur ancienneté, et de transmettre ces informations au DOJ[2].

Au Canada, la responsabilité criminelle d’entreprise exige qu’un haut dirigeant de la société ait connaissance de l’inconduite ou y ait participé[3]. Cet aspect diffère de la théorie de respondeat superior plus large des États-Unis, aux termes de laquelle une société peut être responsable des actes illégaux de tout employé qui agit dans le cadre de son emploi dans l’intention d’en faire bénéficier la société.

Toutefois, les poursuites transfrontalières ayant atteint un sommet inégalé, la surveillance accrue qu’exerce le DOJ à l’égard des particuliers contrevenants ne se fera pas sentir seulement aux États-Unis. Les employés, les dirigeants et les administrateurs situés à l’extérieur des États-Unis, dont au Canada, devraient également tenir compte des priorités du DOJ en matière d’application de la loi, puisque les procureurs américains demandent régulièrement la mise en accusation et l’extradition de ressortissants étrangers à l’égard de violations des lois des États-Unis.

Par exemple, en 2019, Roger Ng, ressortissant malaysien et ancien directeur général de Goldman Sachs, a été arrêté en Malaisie et extradé aux États-Unis[4]. M. Ng a récemment été reconnu coupable aux États-Unis de complot en vue de commettre de la corruption, de contourner les contrôles comptables internes et de blanchir de l’argent dans le cadre d’un système de corruption touchant des agents publics étrangers haut placés en Malaisie et aux Émirats arabes unis[5].

Au Canada, la GRC est moins transparente dans ses priorités en matière d’application de la loi. Par contre, elle n’a pas peur de poursuivre des particuliers pour des infractions de corruption. Dernièrement, en novembre 2020, la GRC a annoncé qu’elle avait porté des accusations à l’encontre d’un ancien membre de la direction d’IMEX Systems Inc., une société canadienne, relativement à des allégations de corruption concernant un agent public du Botswana[6]. L’enquête a été lancée après que la nouvelle direction de la société a autodéclaré les allégations à la GRC.

Enfin, les remarques du procureur général Garland et du procureur général adjoint Polite indiquent clairement que l’attention portée par le DOJ à l’imputabilité individuelle ne se limite pas à ceux qui ont réellement pris part à l’inconduite.

Selon le procureur général adjoint Polite, les sociétés qui coopèrent devront examiner si un changement dans leur direction est nécessaire dans le cadre de leurs efforts de remédiation[7]. Ces commentaires servent de rappel important aux administrateurs et aux dirigeants qu’ils doivent prendre la conformité d’entreprise au sérieux, faute de quoi ils risquent d’être ciblés par ricochet alors que les sociétés qui coopèrent s’efforcent de démontrer qu’elles ont pris les mesures correctives appropriées.

[1] Department of Justice des États-Unis, « Attorney General Merrick B. Garland Delivers Remarks to the ABA Institute on White Collar Crime » (3 mars 2022). Disponible en ligne : https://www.justice.gov/opa/speech/attorney-general-merrick-b-garland-delivers-remarks-aba-institute-white-collar-crime, et Department of Justice des États-Unis, « Assistant Attorney General Kenneth A. Polite Jr. Delivers Justice Department Keynote at the ABA Institute on White Collar Crime » (3 mars 2022). Disponible en ligne : https://www.justice.gov/opa/speech/assistant-attorney-general-kenneth-polite-jr-delivers-justice-department-keynote-aba

[2] Department of Justice des États-Unis, « Deputy Attorney General Lisa O. Monaco Gives Keynote Address at ABA’s 36th National Institute on White Collar Crime » (28 octobre 2021). Disponible en ligne : https://www.justice.gov/opa/speech/deputy-attorney-general-lisa-o-monaco-gives-keynote-address-abas-36th-national-institute

[3] Code criminel, LRC, 1985, c-46, art. 22.1 et 22.2.

[4] Department of Justice des États-Unis, « Former Banker Extradited From Malaysia to United States to Face Charges in Multi-Billion Dollar Money Laundering And Bribery Scheme Relating to the 1MDB Fund » (9 mai 2019). Disponible en ligne : https://www.justice.gov/usao-edny/pr/former-banker-extradited-malaysia-united-states-face-charges-multi-billion-dollar-money

[5] Department of Justice des États-Unis, « Former Goldman Sachs Investment Banker Convicted in Massive Bribery and Money Laundering Scheme » (8 avril 2022). Disponible en ligne : https://www.justice.gov/opa/pr/former-goldman-sachs-investment-banker-convicted-massive-bribery-and-money-laundering-scheme

[6] GRC, « La GRC porte des accusations en vertu de la Loi sur la corruption d’agents publics étrangers » (12 novembre 2020). Disponible en ligne : https://www.rcmp-grc.gc.ca/fr/nouvelles/2020/grc-porte-des-accusations-vertu-loi-corruption-dagents-publics-etrangers

[7] Department of Justice des États-Unis, « Assistant Attorney General Kenneth A. Polite Jr. Delivers Justice Department Keynote at the ABA Institute on White Collar Crime » (3 mars 2022). Disponible en ligne : https://www.justice.gov/opa/speech/assistant-attorney-general-kenneth-polite-jr-delivers-justice-department-keynote-aba